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Un patrimoine industriel en péril

Cheminées d’usine en péril

La démolition en cours d’une cheminée d’usine du XIXe siècle, à Roubaix, rappelle la fragilité d’un patrimoine industriel qui, comme la mine, a façonné notre histoire régionale. Ne bénéficiant d’aucune protection, les cheminées risquent de disparaître de notre horizon. Une association se bat pour les sauver.



Anne-Sophie Hache / Grand format La Voix du Nord le 31 mai 2019

Dans l’atmosphère réduite au silence, de l’ancienne usine textile Cavrois-Mahieu, à Roubaix, où siège l’association Le Non-Lieu, son président Olivier Muzellec nous raconte comment leur combat pour sauver les cheminées d’usine de la région a commencé. Roubaix, seule ville de la région à avoir pris des mesures pour protéger ses cheminées d’usine dont la démolition y est interdite... même si c’est à Roubaix qu’une cheminée emblématique du XIXe siècle est en cours de démontage.

À Bailleul, la ville propriétaire de la friche Hié-Nordlys, vient de faire restaurer la cheminée de l’ancien tissage par un spécialiste belge, Frank Coornaert. On les a suivis pendant leurs travaux menés en famille. On y a aussi rencontré le responsable du collectif Chemin’Hié, qui œuvre au maintien de la mémoire de la friche.

Enfin, à Godewaersvelde, où le clocher côtoie la cheminée de l’ancienne usine textile, on a conversé avec Xavier Piron, propriétaire de l’usine du même nom, au départ une filature et un tissage de toile de jute créée par ses aïeux vers 1855. Il a fait restaurer la cheminée l’an dernier alors qu’elle présentait des signes de détérioration de plus en plus inquiétants. Juste pour le symbole.

Cheminées d'usine
Un patrimoine industriel en péril

« C’est un combat depuis plus de quinze ans. Fait de petites victoires et de grandes déceptions. » Dans l’atmosphère réduite au silence, de l’ancienne usine textile Cavrois-Mahieu, à Roubaix, où siège l’association Le Non-Lieu, son président Olivier Muzellec nous raconte comment leur combat pour sauver les cheminées d’usine de la région a commencé. Avec Lille 2004, Capitale européenne de la culture, et le projet d’installation d’une photographe lilloise sur des cheminées de Roubaix. « Les gens du quartier disaient qu’ils étaient fiers qu’il se passe quelque chose de beau autour des cheminées. Un soir, on en a rallumé dix. On les a fait fumer et on a associé à chacune une sonorité propre, comme autrefois. Depuis les toits, on voyait que Roubaix avait été un eldorado. »


Olivier Muzellec et Franck Larère se battent au sein de l’association le Non-Lieu pour sensibiliser collectivités et habitants au sort des cheminées d’usine de la région, menacées de disparaître. Photo Baziz Chibane

Chance, le premier adjoint de Roubaix, vice-président culture au département du Nord, y est sensible. « Il avait repéré qu’il y avait partout dans le département des cheminées, compris que c’était un symbole fort, y compris dans des zones rurales où la cheminée représentait le pendant du clocher du village. »

Le conseil général mandate l’association pour lancer « Les Beffrois du travail » : chaque 1er mai au départ, de mai à novembre cette année (1), une série d’animations culturelles et festives autour des cheminées, impliquant les habitants, les municipalités avec l’idée qu’en les sensibilisant à ces friches industrielles, on empêcherait qu’elles soient détruites.

(1) Ce samedi 1er juin 2019, à l’usine Hié-Nordlys, à Bailleul, visite de la friche, marché aux tissus, inauguration de la cheminée rénovée. Le programme complet des Beffrois du travail jusqu'en novembre 

« Ce qui nous a déterminés à poursuivre, engagés, c’est la réaction viscérale des anciens ouvriers, ouvrières qu’on rencontrait et qui, chaque fois, nous disaient, qu’on rase peut-être, mais qu’on nous laisse la cheminée. Même chez ceux qui, parce que ça fait trop mal, ne voulaient plus passer devant l’usine. » 

La réaction de maires aussi, sensibles à la mémoire ouvrière de leur commune, comme à Houplines, à La Madeleine, Bailleul… qui essaient d’imaginer un avenir pour leur cheminée, malgré les difficultés inhérentes à la reconversion des friches.



Voilà pour les petites victoires. Restent les grandes déceptions, « quand des maires consacrent leur cheminée comme Beffroi du travail, symbole de la culture ouvrière, et l’année suivante les laissent démolir, regrette Olivier Muzellec. C’est un héritage qui peut-être un atout culturel, social, économique, original. Mais tous les élus n’ont pas cette sensibilité-là. Sans parler du poids des cabinets d’architecte qui n’ont pas forcément envie de s’encombrer d’une cheminée et préfèrent, dans un projet de reconversion, tout raser pour ne pas perdre en rentabilité, évoquent la dangerosité et le coût d’une restauration. »


Dans l’atmosphère de l’ancienne usine textile Cavrois-Mahieu, à Roubaix, où siège l’association Le Non-Lieu, qui se bat pour sauver les cheminées. Photos Baziz Chibane.


« Je pense que les gens ont pris conscience de ce patrimoine, les décideurs rarement, poursuit Olivier Muzellec. Ils ont peur d’être taxés de nostalgiques, ils préfèrent faire une croix sur 150 ans d’histoire régionale. Aucune région, en France, n’a une telle concentration de cheminées mais notre histoire textile n’est pas assumée politiquement. Il y a une forme de culpabilité pour ceux qui étaient au pouvoir au moment du déclin, n’assumant pas ce patrimoine alors que c’est un passé glorieux, ce qui ne signifie pas qu’il n’a pas été douloureux, mais toutes les pages de l’histoire doivent être écrites, pourquoi pas celle-ci ? »

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Le nombre de cheminées d’usines dans le département du Nord, selon un recensement mené il y a dix ans par l’association Le Non-Lieu. C’est le seul chiffre dont on dispose. Et on sait que depuis, « certaines ont été démolies ou étêtées de cinq ou dix mètres », sait Franck Larère, du Non-Lieu. On ignore combien il en reste dans le Pas-de-Calais. 

La métropole lilloise concentre la moitié des cheminées dans le Nord, le Dunkerquois, le Cambrésis et le Valenciennois une trentaine chacun, le Douaisis une vingtaine, une quarantaine du côté d’Avesnes-Maubeuge.

Beaucoup appartenaient à des usines textile, mais pas que. Les friches sont la propriété de propriétaires privés ou publics, l’Établissement public foncier parfois, qui dépollue, déconstruit un site pour le revendre, à un promoteur ou une collectivité. 


La plus ancienne cheminée de Roubaix, à l’angle des rues de Mouvaux et du Luxembourg. Photo Philippe Pauchet.

À Roubaix, « elles rendent notre ville unique »

Elle est la seule ville de la région à avoir pris des mesures pour protéger ses cheminées d’usine dont la démolition y est interdite, c’est pourtant à Roubaix qu’une cheminée emblématique du XIXe siècle est en cours de démontage...

L’ancienne cité textile du Nord n’a peut-être pas compté comme le prétend la légende, «mille cheminées», mais elle est celle qui en a concentré le plus. Il lui en resterait une petite quarantaine encore pour lesquelles la ville a entamé les démarches de protection dès le début des années 2000, en obtenant le label Ville d’art et d’histoire et par arrêté préfectoral une Zone de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP) (devenu Site patrimoine remarquable) qui couvre 90 % du territoire roubaisien.

Une protection qui a montré ses limites ces derniers jours quand la justice a ordonné la démolition d’une cheminée en raison d’une menace d’effondrement. Que peut faire la ville si un propriétaire privé (la cheminée en cours de démolition appartient à une copropriété privée) n’entretient pas sa cheminée ? 

Rendre obligatoire l’entretien ?

Les cheminées ont un rôle à jouer, physiques, elles font partie de l’identité de la ville. C’est un atout touristique en ce sens où elles rendent Roubaix unique.

La ville y réfléchit. « On est en train de travailler à une charte de protection qui doit mieux les protéger et accentuer leur charge symbolique », dit Véronique Lenglet, élue en charge du patrimoine, qui considère que ces cheminées sont inestimables pour Roubaix. 


Véronique Lenglet, élue en charge du patrimoine, devant la plus ancienne cheminée de Roubaix. Photo Philippe Pauchet.


« J’ai été sidérée de croiser des visiteurs qui n’avaient aucune idée du passé textile de la ville. Les cheminées ont un rôle à jouer, physiques, elles font partie de l’identité de la ville. C’est un atout touristique en ce sens où elles rendent Roubaix unique. On aurait tort de s’en priver. Nous avons chacun intérêt à cultiver nos différences, notre authenticité. Ce n’est pas quand toutes les villes se ressembleront que nous en sortirons collectivement grandis. »